Marc-Edouard,
Je ne sais pas pourquoi c’est aujourd’hui que je me lance là-dedans. Que je remue le fond de mon bide à la recherche des choses à te dire. Ce n’est pas ton anniversaire, ce n’est pas non plus celui de ta mort, il y a bientôt 18 ans. C’est juste aujourd’hui.
Tu es né dans le 20ème arrondissement de Paris, tu vivais boulevard Poniatowski, tu as fait plein d’écoles différentes parce que toutes te viraient. De Paul Valéry aux Roches. Tu étais la prunelle des yeux de tes parents parce que tu étais surdoué, parce que tu étais un homme et parce que tu avais eu le bon goût de naître en premier, pas si longtemps après le bûcher des victimes éternelles.
Sur les photos de ton adolescence, tu poses en jouant de la basse et en te la jouant tout court. Tu étais beau en plus. Tu devais t’attendre à vivre 2000 ans. Tu as rencontré une première femme pendant que tu faisais dentaire, plus âgée que toi, que ta mère détestait cordialement car elle n’était pas juive, entre autres. Vous vous êtes mariés, vous avez divorcé, vous n’avez pas eu d’enfants.
Tu as rencontré ma mère qui était ta patiente et qui était foutrement belle. Elle t’a jeté pendant plus d’un an avant que tu finisses par l’avoir à l’usure. Elle t’aimait.
Tu as deux filles. Tu disais que tu ferais tout pour nous. Tu tabassais les chauffeurs de l’Ambassade toute proche, je me rappelle jamais laquelle. Tu avais un tatouage sur une molaire. Tu avais une belle voiture. Tu buvais beaucoup trop. Tu étais encore un bon père.
Paris t’as soulé et tu voulais le grand air pour tes filles qui devenaient grandes. On a quitté Paris. Tu as ouvert un nouveau cabinet. Tu buvais toujours beaucoup trop.
Marc-Edouard, des pans de mon enfance parties aux oubliettes des traumas et de la violence. Des pans de ma vie adulte que tu continues de prendre. Comme si tu continuais à m’user, vent salé de mes pires souvenirs.
Il y a eu la souffrance, la maladie et la folie.
Les « docteurs » sont les plus mal chaussés, tu ne t’es pas soigné, tu buvais comme si vraiment tu voulais crever. La folie avait posé ses valises sous ton crâne depuis longtemps je crois et puis un jour elle les a ouvertes et s’est fait un joli petit chez-elle.
Ta femme te portait aux bouts de ses bras épuisés sans se douter de ce qui se tramait en son absence. Elle croyait toujours que tu étais un père.
Ton état s’est aggravé, ton alcoolisme battait la mesure des tartes dans la gueule et des douleurs profondément morales. J’étais pas tout-à-fait sûre de vivre une enfance normale. J’étais plus que sceptique quant au fait que ça soit pareil chez les autres enfants. Je frémissais quand le gravier crissait sous poids de tes roues et de ta folie furieuse.
J’ai souhaité que tu meures. Ta souffrance, je voulais l’arracher comme une mauvaise herbe, j’aurais tiré fort pour que tu ressembles de nouveau à quelque chose.
Quelque chose qui ne soit pas un pantin jaunit qui ne tient plus ni ses jambes ni ses sphincters, quelque chose qui pèse plus de 50 kilos.
Tu es parti à l’hôpital un jour, ma mère avait vu dans tes yeux, dans ta façon de lui dire « Je crois que quelque chose ne va pas » que tu t’apprêtais à fermer les portes de tes promesses de papier.
Au cimetière, il y avait foule parce que personne ne se doutait, ni même ta femme, que tu n’étais qu’un monstre: paranoïaque et pervers, violent et pleutre. Tout le monde t’aimait. On a dit le kaddish. On a couvert les miroirs de la maison.Si je pleure maintenant, ce n’est pas sur ta dépouille mais sur ce que tu as fait de ta fille.
Je sais maintenant pourquoi aujourd’hui: c’est la rentrée des classes.
Mon unique larme sur ton blouson kaki quand tu m’as laissé à la maîtresse.J’espère que tu n’es pas fière de moi.
Lettre à mon père
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Je reviens quand j’ai quelque chose d’intelligent à écrire.
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En effet, que dire qui ne soit maladroit, stupide ou simplement indécent.
Tu as une grande force de caractère en tout cas, même si ta sensibilité évidente crêve dans ce cri (zut, c’est déja très con ce que je dis, on dirait du Gavalda)
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Si je le pouvais, je te prêterais un bout de mon père à moi, diparu aussi. Une maladie à la con, dégénérative, rare et orpheline, etc… Il n’en finissait pas de mourir. Je l’adorais. Il m’adorait. C’était un père exceptionnel. Je l’ai pleuré pendant trois ans, puis j’ai décidé de me prendre en main, sophrologie, hypnose, massages, etc. Et puis je suis allée fumer une boîte de cigarillos (moi qui ne fume pas) et boire une bouteille de Chivas entière sur sa tombe. C’était son truc à lui les cigarillos et le Chivas. Et j’ai arrêté de pleurer.
Jusqu’à ce matin. Là, devant mon écran. En te lisant. En t’écrivant ces mots. Je sanglote. Je pleure pour toi, pour moi, pour eux. Voilà.
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j’chiale aussi… Merci pour cette lettre, elle est belle. Y a de l’écho chez moi. Merci encore.
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Lorsque 18 ansont pu faire fondre au creuset l’âme de ton père pour justement que retourne à la « buée » ce qui le rendais paranoïaque et pervers, violent et pleutre,
Lorsque la seule chose qui ne retourne pas à la poussière est le bien qu’il restait en lui, celui encore capable de croire à des promesses fussent-elles de papier,
Je ne vois pas de raison pour laquelle ce qui reste alors de ton père, ce qu’il y a de vrai en lui ne serait pas fier de toi.
Putain qu’est-ce que tu écris bien, tu gères à peu près correctement une relation avec un homme qui t’aime à sa manière, tu as 2 enfants qui te font vivre le cauchemar d’une vie de mère, et un coeur immense.
Tu n’as pas à l’aimer. Même pas à avoir du respect pour lui s’il ne le mérite pas. Mais dans la reconnaissance de ce qu’il est, de ce qu’il a fait, par cette lettre, tu honores ton père en vérité. Et ça te vaut toute ma considération, et mon amitié renouvellée.
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Touchant.
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.
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pas mieux …
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pareil.
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Très émouvant
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…
tout comme Henri, Antoine et Marie-Cat.
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Si la vie m’a appris une chose, c’est qu’il n’y a pas d’enfance normale. J’ai connu tout ça. Et quand on m’a dit, quand on a osé me dire « c’est quand même ton père » je n’ai rien trouvé d’autre à répondre que « quand ton père est un con, c’est avant tout un con ». Je comprends très bien ce que tu dis à la fin, et je détesterais que mon père soit fier de moi : il ne le mérite pas.
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Bises
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Ta simple existence est une joie.
merci pour toi en général,
et pour ça en particulier.
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Merci pour ce message magnifique et si dur, à l’image de ton enfance.
J’aurais pu écrire la même chose, alors ça me parle.
Non ça ne passe pas, ça ne passera jamais, c’est une première étape que de le comprendre.
La deuxième étape, tu viens de le faire: l’assumer publiquement, même sur une page de blog. Ce n’est pas à nous de garder ça secret comme une honte, c’est notre vie mais pas notre choix, nous n’y pouvons rien.
En commentant ce message, tu m’aides aussi à le faire un peu moi-même.
Bravo à toi.
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Je vais me contenter de liker this post. Adieu.
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Donc même avec 7 heures de recul, y’a pas moyen hein.
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Coup de point du matin.
La boule au dessus de l’estomac a du mal à se dissiper. Bref, je suis ému.
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« Poing » … ce n’était pas une figure de style.
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..
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encore un coup deux points.
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Merci à tous.
Je ne sais pas si quelqu’un a remarqué mais moi je viens de le voir, le beau, bon, gros lapsus: « J’espère que tu n’es pas fière de moi. »
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Si … je me suis même demandé à qui s’adressait vraiment cette phrase du coup.
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Alors, si j’avais remarqué le lapsus, et j’étais même prêt à me lancer sur une avalanche verbale digne d’un glacier alpin aphone depuis longtemps, remarquant à quel point il n’y avait qu’un homme dans cette lettre (excepté Valéry et Poniatowski) et qu’à la fin, le féminin l’emportait sur le masculin, comme la maladie l’emporte, comme Eve en réchappe, comme un complexe freudien abandonné sur la route quand il ne reste que la route et des passés si tortueux qu’aucun rétroviseur n’en voit le bout, comme une fille à nue habillée d’un souvenir paternel, juste une larme, ce qui finit par faire froid. Mais malgré la tentation, je jouerai pas le glacier qui fond.
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Wouah c’est beau quand tu parles.
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J’ai pensé que c’était voulu. Tu parles à/de ton père et tu finis par le fait que tu n’es pas fière de lui, de ce qu’il a été vis à vis de toi. Ca m’allait bien comme conclusion…
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et aussi que ton père c’est un peu toi. ou l’inverse.
même si, j’imagine d’après ton texte (mais me trompe-je peut-être), il se manifeste dans ce que tu hais le plus profondément de toi.
il est arrivé plusieurs fois à ma mère, lors d’une dispute, de me jeter à la gueule : « en fait, ce dont tu as besoin pour te sentir libre et heureuse, c’est que je meure, tu verras »
mis à part le fait que cette phrase est infecte (et symptomatique de la projection qu’elle fait sur moi de sa relation avec sa propre mère),
elle est surtout fausse.
pour le meilleur et pour le pire (surtout ?), on est condamné à entendre résonner dans notre âme la voix de ces « premiers autres » que sont nos parents.
la mort n’y peut rien là dedans.
Merci Vieux Félin.
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Depuis ce matin, où j’ai pleuré au bureau en te lisant, je ne savais comment exprimer ma gratitude à lire tes mots. Je suis juste père d’une adolescente de 12 ans en pleine puberté. Tu m’as montré quel chemin ne pas prendre. Je m’exprime mal et ma « violence » n’a sans doute (c’est même certain) rien à voir avec ce que tu as connu. Tu nous dit, ou je comprends à travers tes mots, la douceur/confiance que mon enfant aimerait avoir avec son père.
Je te remercie.
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Je ne sais pas quoi te dire.
Bisou.
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bon gros lapsus des familles en effet, mais il dit toute ta résilience (je n’ai aucun attrait pour le mot ni pour le concept mais comme on n’a rien inventé de mieux, hein)et rien que pour ça il faut le garder.
bravo.
pour le reste je sais pas quoi te dire moi j’en suis encore à souhaiter la mort de la bête, à craindre mon facteur et mon téléphone, et pour éviter l’angoisse du bruit de gravier j’ai pris un gros chien…
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« Fille chouette » de mon cœur qui bat, me force à sortir du bois. Ce matin justement je lisais Chloé Delaume, un peu grâce à toi. Il est des morts qu’il faut enterrer plusieurs fois, et des mots qui scellent mieux que ceux d’une cérémonie mensongère. Avec et sans ton père, envers et contre, par-delà la douleur, tu es devenue – et ce n’est qu’un début. Talentueuse, aimée, hautement recommandable n’en déplaise aux crêpières. Nous sommes déjà plus de vingt à ne pas être ton père et à répondre à ta lettre, tu peux être fière de ça. Tant pis pour lui qui ne savait pas, pensées indiennes vers toi.
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Tu me manques.
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Wow
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Larmes aux yeux…
rien à dire, sinon je t’embrasse
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« Le mal par les mots ». Je suis en charpie.
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30 tonnes dans la gueule ce matin…
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J’ai lu quelque part que les « maux d’amour faisaient de jolis mots d’adieu ».
La claque.
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Les pires angoisses m’assaillent. Est-ce que tu veux dire que la mort du parent fou ne change rien à l’affaire ? Que le travail n’en est en rien accéléré ?
Et sinon, comment tu as fait pour résilier aussi bien ?
Salutations réconfortantes (si tant est qu’Internet le permette…).
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Gros bisou sur le front de la part d’un père d’une fille de ton age
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Je ne sais pas quoi en penser.
Je suis encore jeune, j’ai quitté ma mère il y a un temps, alcoolique, atroce. Elle, elle n’est pas morte. Mais depuis que je suis petit, et encore maintenant, je le souhaiterais, j’aurais souhaité qu’elle le soit avant que je sois né. Sauf que elle n’a jamais été une mère.
Je ne sais pas quoi penser, à part que ça me fait réfléchir, et que je me demanderais où j’en serais, avec tout ça, dans quelques années.
J’ai envie de te dire merci.
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On ressent sa présence, on l’évite au possible,
Son arrivée s’annonce sourde et lancinante,
On prie de tout son cœur pour ne pas être cible
Des grognements bruyants de la chose qui nous hante.
Ca arrive entouré de son halo fétide
Une odeur de moisi et de putréfaction,
Ca se goinfre et ça lorgne de son groin avide
Tout ce qui, à son ventre, donnerait satisfaction.
Cette hideuse panse distendue à n’en plus finir
Qui envahit l’espace et ralentit ses gestes,
Qui, à nous plus qu’à elle, fait souffrir le martyr,
Et qui semble excuser ses manières indigestes.
Quand on croise son regard humide et globuleux
Si on y prend garde, nos esprits s’embrouillent
En une rage meurtrière et en désir hargneux
De réduire cette chose en répugnante tambouille.
Cela semble des siècles qu’on subit sa présence,
Mais aucun exorciste ne parvient à braver
Les élans de colère et de «pénible enfance »
Que ça larmoie sans cesse tel un banal navet.
Ça annihile nos joies de sa simple existence,
Ainsi que nos espoirs et la moindre once de force
Qu’on cumule lorsqu’on gagne une vitale distance ;
Craquelant et déchirant notre fragile écorce.
Rien ne semble pouvoir de ce joug nous sauver
Et on consent résigné à cette vie amère,
On laisse pour s’échapper nos esprits dériver,
Pour survivre à cette chose qu’on nous donnât pour mère.
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Ça fait mal de te lire
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je trouve que c’est dignement écrit bravo j’adore ces écrits
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