Ma sœur me dit toujours que j’ai une mémoire notable et pourtant je ne trouve pas. Il y a des années entières dont je ne garde aucun souvenir. Neuf ans, sept ans par exemple : la seule image qu’il me reste c’est le lecteur magnétophone Playschool que j’ai reçu à cet anniversaire et pourtant je me souviens du premier jour de maternelle de ma sœur, dans cette école catholique du 16ème arrondissement, je n’avais pas encore trois ans. J’ai oublié la voix de mon père mais je me souviens du contact brûlant de la moquette sous mes genoux quand je courais à quatre pattes dans le couloir de l’appartement de la rue Spontini, le velours des murs.
J’ai l’impression que c’est la voix qu’on oublie le plus rapidement. Tu trouves pas ?
Peut-être que les gens sortent de nos vies, que leur voix s’éteint vite et que c’est la raison pour laquelle chez certaines personnes, le besoin de raconter devient l’une des premières nécessités.
Je l’ai rencontrée sur une aire d’autoroute quelque part entre ailleurs et Paris, en été 2005, j’avais 23 ans. Elle était assise par terre à l’entrée des toilettes pour femmes, les genoux ramenés sous le menton, l’air revêche. Elle était brune et elle faisait la gueule. Elle avait la peau presque noire et elle faisait la gueule. Elle était toute seule et surtout, elle faisait la gueule. C’était une petite fille.
Je passe une première fois devant elle, je lui dis bonjour et elle me met un vent. Je ressors, je lui demande si elle est toute seule et encore une fois, elle ne juge pas opportun de me répondre. On dirait qu’elle est punie. Je rejoins le camion mais au bout de quelques pas, je retourne vers elle :
« On t’aurait pas un petit peu oubliée ici ? ».
Elle a dit oui et s’est mise à jeter rageusement des petits cailloux qui rebondissaient sur mes sandales. Je lui ai dit que c’était pas la fin du monde et qu’on allait prévenir l’administration de l’aire mais elle semblait pas bouillante pour me suivre.
– Mon père dit que les femmes qui montrent leur peau et qui se font des dessins dessus, c’est pas des filles respectables.
– Ok mais en attendant qu’il revienne, t’es avec moi. T’as soif ?
– Oui.
– Bah viens, on va t’acheter un truc.
– J’ai pas le droit de boire du coca.
– Tu prends ce que tu veux, tu veux quoi ?
– Un coca.
– T’as faim ?
– Ouais…
A la caisse, on a croisé Pute.
P : Qu’est-ce que tu FOUS avec cette môme ?
VF : Bah ses parents l’ont zappée, je l’ai trouvée près des toilettes.
P : Et je peux savoir pourquoi tu la gaves de nourriture ?
VF : Je savais pas quoi faire d’autre. Comment tu t’appelles ?
PF : J’le dis pas.
P : Elle est chiante, en plus…
On est ressorti sous le cagnard tous les trois. La môme nous reluquait sous toutes les coutures et puis elle a pris ma main pour aviser le bracelet en cuir que Pute m’avait offert quelques jours plus tôt à Cordes-sur-Ciel.
VF : Il te plaît ?
PF : Ouais !
VF : Tiens, je te le donne…
P : T’arrête de lui filer des trucs ?!?
VF : Je suis désolée, je sais pas ce qui me prend. Je veux qu’elle m’aime bien.
P : C’est pathétique si tu veux mon avis.
VF : Bon, il est où ce putain de bureau ?
P : Sous tes yeux, nounouille.
Elle est entrée seule et j’ai attendu à l’extérieur un moment. Par la baie vitrée, je la voyais agiter nerveusement ses petites jambes sur sa chaise. Je suis retournée au camion pour m’engueuler avec Pute à propos de tous ces bijoux qu’il ne m’achèterait plus jamais et au bout d’un moment, on a vu arriver la petite fille et son père. Il nous a remerciés en nous toisant de la tête aux pieds avec un mépris à peine dissimulé, sans doute parce que Pute et moi déployions alors tout notre potentiel manouche.
« C’est pas sage, ça, les filles. » avait-il décrété avant de tourner les talons.
Elle m’avait dit son prénom, je m’en suis souvenu longtemps et tu vois, je l’ai oublié. Je m’en suis rendue compte ce matin.
Je déteste me rendre compte que j’oublie.
je supporte pas non plus… parce que quand je sais quelquechose, ben j’ai l’impression de le savoir à vie. Et quand je m’aperçois que je l’ai oublié, ben ça me prouve que j’avais tort.
Et je supporte pas d’avoir tort…
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‘tain… c’est une tuerie.
C’est une pure tuerie.
Putain…
Merci.
PS : j’m’en remets pas (atta j’vais relire)
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Jolie tranche de souvenir.
Merci :)
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Elle s’appelait Églantine.
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Tellement pas. Ca ressemblait à Petit Coraya: consonne-a-consonne-a-consonne-ya. Je sais plus.
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SAYAMA
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3 mois, perfect timing.
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Ni vu, ni connu…
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Mais ouais pareil c’est trop chiant. Je crois que ma conso excessive d’alcool/shit d’antan n’aide pas à rassembler les pièces. Et puis ces putains de médocs qui peuvent supprimer un pan entier de ta vie comme ça, direct à la poubelle sans possibilité de restaurer les fichiers. M’enfin quand quelqu’un te rappelle un détail c’est parfois tout un bloc de vie qui refait surface, preuve qu’on doit bien avoir un stockage de secours quelque part. Ça marche aussi avec le retour d’une voix oubliée en effet, même un coup de fil peut faire un choc.
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C’est dingue parce que la voix est aussi une des choses que j’oublie le plus vite. J’oublie aussi le parfum ou l’odeur de la personne. Ce qui est assez paradoxal en y réfléchissant parce que j’ai un odorat assez sensible et que l’odeur des gens est une des choses qui m’importent le plus lorsque j’en viens à les fréquenter.
Les yeux… Quand j’y pense, les yeux aussi, je les oublie. Et même si je suis souvent séduit ou attiré par un regard, je n’arrive jamais à me souvenir de la couleur des yeux. C’est une chose que je n’imprime absolument pas.
Un sourire en revanche…
Oui, le sourire, je ne l’oublie jamais.
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Dorés.
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Toi… rien que j’te kiffe !
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les odeurs tu crois que tu les a oubliées mais en fait non…
si d’aventures ton museau retombe dessus c’est la magie HOP-ZOUM-BAM flashback instantané assuré, tu reviens illico au moment béni associé à l’odeur en question… un truc assez flippant en fait.
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Waou… Très belle histoire, ça me donne envie de me remettre à écrire aussi… Merci pour ce petit voyage, VF…
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Les voix c’est ce qu’on oublie le plus rapidement oui, j’ai pu le constater aussi. Même les images que j’ai en tête, parfois je n’en suis plus très sûr. Est-ce que ça serait pas plutôt des images que j’ai accolées moi même à des histoires qu’on m’a racontées ? Sans parler des photos, ces grosses putes, qui s’imposent en juxtaposition des souvenirs, ou des rêves qu’on fait des années après que les gens ne soient plus là…
Bref, pour en revenir à ton histoire, je suis sûr que ce prénom te reviendra comme ça, sans prévenir et sans y penser, un jour, par surprise…. mais qu’il refasse surface ou pas, ça ne changera finalement pas grand chose à la justesse de ton propos.
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Malgré ma voix de cresselle, bizarement je n’oublie aucune mélodie. C’est même assez gênant. La moindre rengaine entendu 1 fois peut me hanter des années.
Pour le reste… je disait quoi déja ?
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Je rêve ou il y a bien du changement sur le blog?
ça va te revenir …. Un jour où tu t’y attendras le moins…
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Moi ça va j’oublie pas trop de trucs, mais c’parce que je suis encore jeune et frais.
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Vaut mieux pour une écrevisse…
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I respectfully disagree. J’en veux pour preuve les torchines que tu te mets et dont tu nous as moultement fait part sur ce very blog.
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Et Pute, il s’en souvient pas?
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Elle ne le lui a pas dis
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Moi je trouve, on dirait Zazie.
Et je préférais avant la page d’accueil, même si j’me souviens plus vu comment c’était.
VF, putain, te lire fait plus de bien qu’un coup de fil à la meilleure amie (surtout quand elle te dit que tu mérites ce que tu te prends dans la gueule, que t’as un mauvais karma de tentatrice.)
Je crois que je vais envisager un courrier de lès cœurs.
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C’est dit ça reste comme ça.
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Moi j’oublie rien mais c’est parce que je suis très intelligent.
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Comme si cela avait un rapport …
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Nan t’oublies rien juste parce qu’il t’est arrivé trois trucs, j’crwa.
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j’y pense et puis j’oublie…
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« en bonne et due forme » aurait dit le capitaine crochet
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En fait, tu t’es souvenue de tout ce qu’il fallait pour écrire une nouvelle, et même ce que tu as oublié y participe.
J’aime l’atmosphère, cette aire d’autoroute devient aussi dépaysante, onirique et quotidienne qu’une toile de Hopper.
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Tu dis ça parce que tu m’aimes bien. Merci.
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Tu sais que je je t’aime bien mais tu me connais mal. Si j’étais quelqu’un qui ne t’aime pas je ne te dirais rien. Et tu n’as pas idée des compliments foireux que je t’adresserais si je te disais quoi que ce fût au simple motif que je t’aime bien.
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Mais je suis un alien ou quoi ? La voix est ce que j’oublie en dernier de quelqu’un. C’est peut-être parce que je suis myope comme une taupe.
J’ai l’impression que c’est même le rire des gens que je peux faire résonner éternellement à mon oreille.
Et la petite, elle avait une voix comment ? Peut-être que si t’y penses fort, ça va faire revenir le prénom ?…
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Aucune idée elle a à peine ouvert la bouche.
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